Notes sur mon rôle pendant le Gouvernement Provisoire du District de Tientsin :
1901 . 1902

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Quand je fus nommé au Service de Santé du Gouvernement Provisoire de Tientsin en juin 1901, le service comptait : un médecin chef, le Docteur Houillon, inspecteur sanitaire, un médecin chinois chargé de l'infirmerie du Yamen, et 12 policemen sanitaires pour la surveillance de la propreté des rues et l'exécution des ordonnances sanitaires. Un autre médecin chinois venait d'être engagé pour assurer le service des vaccinations gratuites.

Mon rôle devait être la visite des prisons, et l'organisation complète de la partie du service regardant les maisons de tolérance : recherche de ces maisons, leur classification, enregistrement, surveillance, police, justice, répartition et perception des taxes et licences, organisation d'un dispensaire et d'un hôpital y attenant, visite régulière médicale des femmes, soins à donner à celles gardées à l'hôpital, recherche des maisons clandestines et des femmes non déclarées, installation d'un service de détectives chargé de ces recherches. Mais presqu'aussitôt après mon arrivée, le Docteur Houillon partit en congé au Japon et il me fallut prendre la Direction Générale du service, tandis que j'installais la clinique des femmes avec son hôpital. Bientôt j'eus 900 femmes inscrites, et avec la seule aide du médecin chinois vaccinateur, j'en visitais de 50 à 60 par jour. En une semaine, j'en avais une centaine en traitement à l'hôpital. Petit à petit cette partie du service devint la plus importante, toute la police des maisons de tolérance et des quartiers réservés m'incomba. Les femmes au début atterrées, affolées à l'idée de cette visite qu'on leur avait représentée comme devant être une torture, s'y habituèrent ; et trouvant, pour la première fois de leur vie, quelqu'un qui s'intéressait à elles, les soignait réellement et les traitait bien, leur donnant gratuitement tout ce dont elles avaient besoin, reprirent confiance, et transformèrent le dispensaire en un bureau de réclamations où elles venaient demander justice, ou même contre l'inhumanité de leurs patrons.

Un résultat énorme avait été acquis ; en dépit des difficultés d'établissement de ce service si contraire aux moeurs chinoises, les femmes en étaient arrivées à nous considérer comme des bienfaiteurs, et comme les premiers individus ayant essayer d'améliorer leur sort d'esclaves achetées au berceau, et privées de tout moyen de faire jamais entendre leurs plaintes. Plusieurs mariages faits contre le gré des patrons ou plutôt malgré toute leur opposition, plusieurs mises en liberté de femmes ravies ou brutalisées par leurs maîtres, ou mises en gage par leurs maris, donnèrent au renom français une réputation d'équité, d'honnêteté et de bonté dont je ne veux pour preuve que le calme avec lequel le quartier réservé a accueilli le Docteur Plomb, et l'a vu m'assister puis me succéder pour l'examen médical des femmes ; et d'autre part l'agitation extrême, les pétitions suppliantes qui me sont parvenues, la fermeture de beaucoup de maisons (presque toutes celles de 1ère classe et beaucoup de 2nde classe), la fuite des femmes, et même plusieurs cas de suicide lors de l'apparition dans le service du médecin allemand que le Conseil m'avait imposé, et l'entrée en fonctions du médecin japonais. Cette agitation n'était pas encore calmée quand la visite des femmes fut supprimée après l'apparition du choléra.

Cependant, je donnais aussi mon attention aux prisonniers qui jusqu'alors étaient traités ou plutôt parqués à la chinoise dans des locaux absolument infects et insuffisants, et étaient tous rongés de vermine et de maladies de peau sordides, qu'ils attrapaient par contagion du jour de leur entrée à la prison. Ils furent transportés sur ma demande dans une prison réelle aménagée à l'européenne d'après mes plans, et ayant une bonne infirmerie où tous les malades pouvaient être soignés, et où tous les nouveaux venus atteints de maladies de peau devaient être traités avant d'être mis dans les geôles communes. Un médecin chinois fut affecté à cette infirmerie pour exécuter les soins prescrits à ma visite journalière.

Quand le Docteur Houillon revint du Japon, il ne resta que quelques jours avant de partir définitivement pour la France, je fus alors nommé Chef Titulaire du Service, et le Docteur Plomb Sous-Chef. Je donnais à Plomb qui n'était à ma disposition que l'après-midi la visite des femmes, et lui adjoignais un autre médecin chinois pour l'aider dans ce service vraiment pénible. Malheureusement son ignorance de la langue anglaise m'empêcha de lui confier l'administration de cet hôpital, et la direction des quartiers réservés que je continuais à assurer avec les autres parties du service, hôpital de la prison, du Yamen, inspection sanitaire, service de la voirie, de la Rivière, et la gestion générale du service.

Cependant débarrassé de cette visite des femmes qui me prenait toutes mes après-midi, je pus consacrer mon temps à la surveillance des oeuvres dites de bienfaisance ou asiles sur lesquelles les Japonais, par l'intermédiaire du Secrétariat Chinois du G.P.T. (ayant un Japonais comme Directeur) avaient mis la main. Sur ma demande, je fus chargé de la surveillance de toutes ces soit-disant institutions de bienfaisance. J'espérais enlever aux Japonais l'influence qu'ils avaient essayé de se créer de ce côté, et améliorer le sort de ces malheureux qui mouraient par centaines au coin des rues pendant l'hiver. Je voulais ainsi obtenir par ce moyen, un peu de cette réputation de bienfaisance et de bonté que j'avais acquise par ma façon d'agir avec les prostituées et chanteuses, et qui, bien que s'adressant à une classe de la société aussi peu recommandable, n'en avait pas moins sa répercussion sur l'esprit du peuple entier et pouvait modifier l'opinion qu'il avait de nous au lendemain d'une guerre malheureuse pour tous.

Je proposais l'interdiction de la mendicité dans les rues de Tientsin, et l'organisation d'un asile où on aurait donné aux mendiants autre chose que le gîte pur et simple sans nourriture comme le faisaient les Japonais. Ma proposition fut acceptée et je reçus l'ordre d'organiser en 8 jours un asile susceptible de recevoir 2 000 individus des deux sexes. Des proclamations lancées de tous côtés par la police dès l'acceptation de mon projet par le Conseil, avaient interdit la mendicité dans les rues à partir du Premier de l'An Chinois, et il fallait être prêt à fonctionner avec un asile complètement installé, avec cuisines, approvisionnements etc. Un médecin chinois, un secrétaire interprète, 5 policemen et 10 coolies formaient tout le personnel de cet établissement qui allait enfermer toute la lie de Tientsin, anciens boxeurs, brigands, récidivistes, libérés ou échappés de prison, ou malheureux fumeurs d'opium que leur passion avait réduits à la mendicité. Quand tout fut prêt, je reçus en moins de 5 jours plus de 800 de ces individus, dont une dizaine de femmes, le tout ni plus ni moins sale que tous les mendiants chinois, littéralement sordides et inapprochables. Il ne fallait pas espérer garder toute cette armée de bandits par la force, mais essayer de leur faire aimer la maison où le lit, la nourriture et le traitement étaient bons. Je commençais à examiner toute cette engeance, et non, je dois l'avouer, sans une certaine répulsion pour leur sordidité. Je dus mettre la main à la besogne, et commencer à les nettoyer moi-même, brosser, laver, étriller même, peigner et désinfecter pour forcer le personnel de l'asile à entreprendre ce travail dont il était dégoûté encore beaucoup plus que moi. Puis je leur donnais des vêtements propres, et leur accordais l'accès du véritable asile. Je me mis en devoir de les gaver, et de leur faire comprendre le but de l'oeuvre. Après quelques jours de bon traitement, l'estomac rassasié, l'amour du grand air leur revint avec la terreur d'être en prison pour la vie. Beaucoup s'échappèrent pour aller vendre leurs vêtements neufs, quittes à se faire repincer mendiant dans les rues aux premières morsures de la faim et du froid. Il fallait prévoir une évasion en masse aux premiers beaux jours, et un coup dur à supporter pour l'oeuvre commençante ; je pensais à laisser sortir mes pensionnaires, et pour les empêcher de mendier, à leur donner un travail rétribué à l'extérieur. J'obtins du Conseil l'argent nécessaire pour entreprendre un travail de nettoyage à fond de la Ville Chinoise, j'organisais mes anciens mendiants en coolies de l'inspection sanitaire, remboursant eux-mêmes à l'asile sur leur solde de travail toutes les dépenses faites pour eux. C'était une sorte d'assistance par le travail.

Les malades, invalides, au nombre de 150 environ, les femmes et les enfants étaient seuls à la charge du G.P.T. A partir de ce jour les évasions se firent de plus en plus rares, et il fut possible de mettre un peu plus de sévérité dans la discipline. Pour ceux qui ne pouvaient être utilisés comme coolies, j'étudiais la création d'ateliers à l'intérieur de l'asile, mais les évènements ne me donnèrent pas le temps de parfaire mes projets.

L'hôpital de l'asile devenant trop important pour que je puisse m'en occuper d'une façon suffisante, j'en fis part au membre italien du Conseil représentant le service de santé dans cette assemblée, pour préparer la voie à une prochaine demande pour un médecin français supplémentaire. Mais sans que ma demande ait été faite ou lancée, le lendemain un médecin allemand m'était affecté malgré les protestations du Colonel japonais Harada, membre du Conseil qui voulait à tout prix introduire ses nationaux au service de santé, et qui à la suite d'un dîner qu'il avait donné pour me présenter et me recommander, le Chef du service de santé du corps Expéditionnaire espérait voir ouvrir toute grande la porte du service de santé du G.P.T. aux 28 médecins qu'il avait en réserve, et nous proposait sans solde. Le Conseil lui promit que la prochaine nomination de médecin lui serait réservée. Impossible de faire aucune nouvelle demande de personnel français avant d'avoir casé le protégé du Colonel japonais. Je pris de suite fait de l'obligeance du Conseil qui venait de me désigner un assistant sans que je le lui demande pour lui proposer d'augmenter considérablement le personnel chinois dans les locaux du dispensaire. Je lui représentais de plus comme absolument indispensable la nomination d'un 3ème médecin pour cette formation de façon à ce que toutes les femmes puissent être examinées à jour fixe et à ce que toutes les malades puissent être internées, ce que nous n'avions pu faire que d'une manière incomplète jusqu'alors.

Le Conseil lié par sa promesse au Colonel Harada n'osa pas refuser, et tout ce que j'avais demandé fut accordé. Je m'étais ainsi de suite débarrassé de la candidature du médecin japonais en lui créant une place, et dégagé pour un camarade la place de l'asile un moment menacé par la promesse du Conseil. Seulement je ne pouvais plus parler de l'asile de peur que la moindre plainte de ma part au sujet de mon service trop chargé ne me fit donner l'ordre d'affecter à cette institution un des médecins étrangers du dispensaire, qui aurait réduit à néant mes efforts pour l'influence française en accaparant pour le drapeau qu'il représentait le renom de bienfaisance dû à ma peine et à mon travail ; je me tins coit et gardais cet établissement pour moi seul encore un mois et demi.

Pour caser mon candidat je créais de nouvelles organisations, un service de voirie avec 80 voitures nous appartenant, et un service des épidémies avec déclaration obligatoire des décès, statistiques, contrôle des diagnostics des cas suspects, autopsies etc. etc. Ayant complètement laissé tomber l'asile dans l'oubli du Conseil et attiré son attention sur ce nouveau surcroît de travail qui m'incombait, travail très délicat, très mal vu par les Chinois, susceptible de créer des difficultés et des ennuis dans toutes les familles, sans en faire ressortir aucune parcelle d'influence, je pus faire nommer un médecin français auquel je donnais l'asile que je lui avais si jalousement gardé. Je craignais surtout les Japonais que je voyais furieux du résultat qu'ils n'avaient pu obtenir alors qu'ils avaient la charge des institutions de charité que je leur avais soufflées, et qui essayaient de reprendre leurs positions. Le Colonel Harada m'accablait de ses compliments et de ses protestations, de l'intérêt tout particulier qu'il portait su service de santé. Il m'avait même donné l'ordre de proposer au Conseil la construction dans la Cité d'un immense hôpital comme souvenir du passage du G.P.T. Mais comme il était trop facile de voir que son seul but était de caser les nombreux médecins japonais qu'il avait fait venir, et de préparer pour son pays avec leur aide une influence médicale durable. J'acceptais avec joie l'ordre donné et promis tout ce qu'il voulut. Mais je ne bougeais que pour prévenir les autres membres du Conseil de cette nouvelle tentative d'envahissement, et je fis traîner la chose en longueur jusqu'à la reddition de Tientsin aux autorités chinoises. J'ai beaucoup regretté pour la Cité cet hôpital que j'avais déjà proposé en juin 1901, et qui aurait été un vrai bienfait pour la population chinoise de Tientsin. Seulement, nous n'étions pas assez de médecins français pour le prendre en charge et, resté en Chine pour représenter la Médecine Française, je devais faire passer ces intérêts primordiaux avant toute question de sentiments.

L'assistant français qui me fut ainsi désigné fut le Docteur Brunet, médecin de 2ème classe de la Marine, en qui je trouvais le collaborateur le plus précieux et le plus dévoué qu'il m'eût été possible d'espérer. Je pus lui abandonner complètement l'asile, administration, justice, hôpital etc. Malheureusement il ne resta qu'un mois et demi, et son successeur ne s'intéressa nullement à notre oeuvre. Il se contenta de passer avec dégoût la visite médicale, et me força à reprendre la direction de cet établissement, tâche extrêmement lourde.

Le résultat de mes efforts fut positif. Ces ex-bandits ou miséreux finirent par s'attacher à l'oeuvre, par s'y trouver chez eux, et ce fut parmi eux seuls que pendant le choléra je pus trouver les infirmiers et coolies nécessaires à mes hôpitaux d'isolement. Leur conduite y fut vraiment remarquable, alors que je ne les avais utilisés qu'en désespoir de cause. Ont-ils compris le but moral de l'institution ? M'en ont-ils gardé quelque reconnaissance ? Il m'a semblé que oui, mais ils sont Chinois ?? Le jour de la fin du G.P.T., je fis une distribution de couvertures ouatées en vue de l'hiver suivant et leur exposais la différence entre leurs situations passée et présente ; je leur demandais de se rappeler que l'auteur de leur bien-être actuel était un étranger maudit, un Français qui maintenant encore, au moment de les quitter, songeait à leur bien-être, et à leur prochain hiver entre les mains des autorités chinoises, qui avait été pour eux la providence et qui, sans se soucier de ce qu'ils avaient pu être autrefois, bandits ou boxeurs, piliers de prison ou exterminateurs jurés des Européens, avait fait tous ses efforts pour leur faire regagner la considération d'êtres humains qu'ils avaient perdue aux yeux de leurs compatriotes, et pour leur créer un confort certainement supérieur à celui de la majorité des travailleurs de Tienttsin.

Des protestations chinoises de reconnaissance me furent prodiguées. Que fallait-il en prendre ? Si du côté des mendiants eux-mêmes il ne m'était pas possible de connaître leurs vrais sentiments, j'eus le plaisir de voir les autorités chinoises, en reprenant Tienttsin, tellement émerveillées du personnel, de l'entretien de l'établissement, de la discipline qui y régnait, qu'ils n'ont pu s'empêcher d'en faire leur compliment au Conseil lui-même, et qu'ils maintinrent intacte cette oeuvre qu'ils avaient l'intention de faire disparaître avant de l'avoir vue, à cause de la dépense qu'elle entraînait.

Quand je croyais en avoir fini avec toutes ces créations et cette organisation de mon service qui durait depuis tantôt un an, et me reposer sur le service courant en donnant plus d'attention à la question purement scientifique, le choléra, grâcieux envoi des autorités de Shangaï, vint nous surprendre. Le 31 mai, 6 cas de choléra asiatique furent découverts à Takou. Le 1er juin, j'ouvris la station de quarantaine, j'y fondais un hôpital de toutes pièces, prenais les mesures de défense contre Shangaï. Trop tard il est vrai, mais la faute ne peut en retomber sur moi. le 28 mars, j'avais signalé le mauvais état de cette ville et avais demandé de mettre en vigueur des mesures de protection contre ses arrivages ; mais les autorités de ce port voisin, plus émues par la possibilité d'une perte pécuniaire pour leurs compagnies de navigation que par des sentiments d'honnêteté humaine, firent une réponse négative que j'ai gardée pour me couvrir, et qui fait retomber sur elles la responsabilité des 10 000 vies chinoises et des 50 ou 60 vies européennes que le choléra a coûtées au district de Tientsin (et je ne parle pas des milliers de décès survenus dans le reste de la province de Pétchili). Après avoir fait une enquête approfondie sur l'état sanitaire de Takou et environs, j'organisais des mesures de protection contre le fléau, et d'assistance aux malheureux atteints. Je donnais le poste le plus important, l'hôpital du Lazaret, au Docteur Marty que j'avais rappelé de l'asile, et demandais 3 médecins de plus entre lesquels je partageais le service de Tong-Kou à Takou, recherches à faire dans les villages et patrouilles de désinfection. Il me fut envoyé un Allemand, un Anglais et un Japonais.

Le Docteur Plomb, resté à Tienttsin, me signalait que des cas venaient d'être découverts parmi nos mendiants, et qu'il avait pris les premières mesures. Le service étant organisé et chacun étant installé à son poste à Takou, je revins à Tientsin où je me trouvais devant une situation autrement pénible et alarmante. Les contacts entre les troupes européennes et les Chinois y étaient immédiats, grâce aux postes de Police Internationale de la Cité ; et par eux l'extension de l'épidémie menaçait les concessions qui, encombrées de soldats, auraient pu être très facilement infectées, et donner une proie facile à la contagion. J'installai le service à Tientsin Cité, demandai un médecin étranger pour chaque secteur de police, chargé de veiller sur la santé des troupes, et de diriger le service médical actif de leur quartier. Je reçus deux Allemands, un Anglais, un Italien et trois Japonais. L'effectif médical français trop restreint ne permit pas de mettre quelqu'un à ma disposition, et le Docteur Plomb dut abandonner la sous.direction pour prendre en mains la direction médicale du secteur français de la Cité le plus grand, le plus pauvre, et aussi le plus infecté de tous. Je fondais quatre hôpitaux et confiai deux d'entre eux à des médecins allemands, l'un en face de la Concession allemande à Hsiao.Choung.Tsouang, de l'autre côté du fleuve, l'autre au sud.ouest de la muraille en terre à Hsing.Fang.Tze. Je gardai la charge des trois hôpitaux du nord, peu distants de mon bureau à Hou.Tchou.Kong.Tze et à Yu.Ying, où deux médecins chinois résidaient. Le dispensaire fut fermé et la visite des femmmes arrêtée, et le médecin japonais envoyé dans le district nord.extérieur.

Le service des secteurs fut ainsi organisé :

Dans chaque secteur il étaient mis à la disposition de chaque médecin un ou plusieurs sous.officiers ou soldats, des policemen indigènes, et des coolies spéciaux pour les recherches dans les maisons, le tranport des malades à l'hôpital, l'enterrement des cadavres, et les désinfections. Les médecins avaient de plus à surveiller d'une façon toute particulière le service de voirie et l'entretien des W.C. de leur secteur. Les patrouilles devaient entrer dans toutes les maisons, et si elles découvraient des malades ou des morts prévenir les médecins de leur secteur qui allaient établir le diagnostic de la maladie dans la mesure du possible et prendre telles dispositions qu'ils jugeraient nécessaires.

Ces mesures un peu énergiques ne tardèrent pas à surexciter la population chinoise qui ne pouvait admettre ces violations de domicile, et les soins donnés de force par la méthode européenne à leurs malades. La situation se tendit atrocement, à tel point que je vis s'imposer, pour éviter la propagation de la maladie, la nécessité de revenir sur les ordres donnés. Les Chinois affolés par nos façons d'agir qu'ils ne comprenaient pas et exaltés au plus haut point par les explications insensées que la malveillance donnait à nos proclamations, pour échapper à la désinfection des maisons contaminées, enterraient leurs morts la nuit, dans le premier terrain vague venu, les transportant dans des sacs ou des paniers, d'autres les enfouissaient dans leur cour, voire même sous leur lit de camp, d'autres les jetaient à la rivière, d'autres enfin fuyaient en jonque, transportant au loin l'infection avec leurs morts et leurs malades. Nous ne savions plus rien de ce qui se passait, et les dangers d'un accroissement de l'épidémie devenait imminent.

Il fallait modifier cet état de choses, et calmer les esprits sans toutefois reculer d'une ligne et en gardant tout le bénéfice de l'organisation première. Dans ce but, pour rendre au public un peu de confiance, je suscitai de la part d'un comité de riches Chinois la création d'une société de bienfaisance, qui prit le nom de Société des Hôpitaux Temporaires. Je lui dictai des règlements, et en restais le chef immédiat comme celui de mes hôpitaux. Mais je disparaissais devant elle aux yeux du public, et par des proclamations affichées dans toutes les rues je lui confiai tout pouvoir, m'en remettant à sa connaissance plus approfondie des moeurs chinoises. Dans les secteurs, nos médécins se réservaient plus spécialement à la surveillance de l'hygiène et de la santé des troupes, tout en ayant un contrôle technique sur la façon dont la Société se comportait.

Le public se plaignant que nos hôpitaux fixes étaient trop loin des centres et que les malades n'y arrivaient pas vivants, que nous n'avions que des médecins à la méthode européenne, j'engageai des médecins chinois anciennes méthodes, et fis installer par la Société 11 hôpitaux temporaires en plein centre des différents quartiers.

Ces hôpitaux reçurent beaucoup de malades, et nous fournirent par leur personnel enquêteur des renseignements beaucoup plus précis que sur les maisons infectées, sur le nombre des décès, et nous permirent de lutter beaucoup plus efficacement contre l'épidémie que nous n'aurions pu le faire livrés à nos seules ressources.

Enfin, petit à petit, les esprits se calmèrent et l'épidémie disparut couronnant de succès nos efforts, il n'y avait pas eu de décès parmi les hommes des détachements de police de la Cité, et les concessions n'avaient pas été contaminées. Le conseil reconnaissant le travail que j'avais fourni me récompensa par quelques lignes élogieuseS.

Au jour où les Chinois reprirent Tientsin, j'avais sous ma direction à titre permanent au Service de Santé : deux médecins français, un Allemand, un Japonais, six Chinois, deux inspecteurs sanitaires européens, deux interprètes, deux chefs détectives pour la police des quartiers réservés, une compagnie de police de 70 hommes, un service de voirie de 80 attelages et de 500 coolies, plus tout le personnel secondaire du Vaccination Hall, de l'hôpital du Yamen, de la prison, du dispensaire et de son hôpital de 150 lits, de la station de quarantaine de Ta-Kou, et un asile de 6 à 700 mendiants avec son hôpital contenant journellement une centaine de malades.

Au titre provisoire du choléra, j'avais sous mes ordres neuf médecins étrangers, dont trois Allemands, deux Anglais, un Italien et trois Japonais, un magasinier français, onze médecins chinois formés à l'européenne, quatre médecins chinois vieux système, quinze sous.officiers étrangers sous.inspecteurs sanitaires, cinq hôpitaux du choléra appartenant au Service de Santé, onze hôpitaux appartenant à la Société des Hôpitaux Temporaires, une armée de coolies et de personnel secondaire.

Le fait prédominant & la chose la plus pénible pendant mon passage au Service de Santé du G.P.T. a été la somme de travail physique et mental qu'il m'a fallu fournir pour pouvoir à moi seul organiser et faire marcher un service aussi important qui chaque jour s'augmentait de nouvelles formations sans que le personnel pût s'accroître dans les proportions nécessaires et indispensables. Nous étions si peu de médecins français en Chine qu'il ne m'était pas possible de demander des assistants ; nous aurions été envahis par les étrangers, et j'aurais été obligé de leur donner des places de chefs de service ou d'établissements qui les auraient mis au premier plan aux yeux des Chinois. C'était complètement contraire à nos intérêts français et à la règle que je m'étais tracé de n'assigner à ceux qui m'étaient imposés que des rôles secondaires sous la direction des Français, pour réduire leurs efforts à néant au point de vue influence. Je leur avais confié la visite et les soins des femmes au dispensaire sous la direction du Docteur Plomb, et ne leur ai jamais laissé aucune autorité administrative ni aucun pouvoir de police. Je n'ai eu comme assistants dans la partie non technique du service que mes médecins chinois qui m'ont rendu de très grands services, mais sur lesquels il faut une surveillance de tous les instants pour les empêcher de laisser tout aller à la débandade.

Le matin, mon service à l'école fini, je montais à la ville chinoise, passais la visite de la prison, faisais une tournée d'inspection dans la Cité pour surveiller mes inspecteurs sanitaires, voir les décisions à prendre et les prpositions à faire au Conseil. Naturellement, la partie la plus importante, la plus longue de la tournée était la visite des w.c. publics, dépôts d'ordures, égouts, marais, fabriques de poudrette et porcheries, toutes choses de première valeur au point de vue sanitaire, mais bien abjectes en pays chinois. Après venaient la visite de l'hôpital du Yamen, et au début de l'asile, et le règlement des questions de direction et de surveillance générales de police interne, finances, comptabilité, habillement, alimentation et toutes autres choses qui, dans une compagnie de 150 hommes, occupent déjà tant de gradés.

Au bureau m'attendaient les rapports des différents services, des Officiers de Police Internationale, leurs demandes de crédit, de personnel, de matériel, leurs plaintes contre les coolies, les enquêtes à faire pour évasion de ces derniers, leurs vols, refus d'obéissance, rébellions, extorsions des coolies ou des agents chez les habitants ; les questions de police et de justice des quartiers réservés, rapports des agents secrets, poursuites judiciaires des maisons clandestines de tolérance, enquêtes à faire avec le plus grand soin pour bien établir qu'il s'agissait d'une maison de prostitution et non d'une famille ayant plusieurs femmes ou filles (excuse toujours donnée), et mille autres choses dépensant tout le temps qui aurait bien mieux été utilisé à des questions d'intérêt plus élevé. Et il était nuit avant que j'aie fini, et avant qu'il m'ait été possible de donner une minute de travail personnel aux contrats, ordonnances de police, proclamations, projets, budget, propositions à faire au Conseil, réponses à ses ordres, et surtout la chose la plus pénible et la plus délicate, la rédaction des règlements qui devaient régir chacun de ces petits mondes composant le Service de Santé. En plus, trois fois par semaine il fallait que je redescende à l'Ecole l'après.midi, de 3 heures à 5 1/2, pour faire un cours.

Et le soir, quand je rentrais chez moi après cette journée occupée à ces tas de riens imprévus, principalement ces abominables questions de police et de justice dont on ne voit jamais la fin, et pour lesquelles il faut s'entourer de tant de précautions pour ne pas être trompé par tous, j'avais encore toute la partie technique et intellectuelle de mon service à faire, en plus de mes cours à préparer pour le lendemain. Exténué, je ne pouvais souvent pas dîner, et après quelques heures de sommeil prises sur un canapé pour ne pas m'endormir trop profondément et ne pas manquer l'heure du réveil, il me fallait reprendre tous les jours mon travail à 2 heures du matin au plus tard pour faire face aux exigences de ce double service, pour lequel je ne pouvais malheureusement être aidé par personne. J'avais, au mois de février 1902, fait engager Monsieur Lautier, Pharmacien de la Marine, comme secrétaire particulier pour le charger de la partie police et justice, mais il fut rappelé en France avant d'avoir eu le temps de se mettre au courant.

Au moment où le choléra est arrivé, décuplant mon service et diminuant le nombre de mes assistants en me forçant à les envoyer dans les nouvelles formations sanitaires, et me laissant avec la charge entière du Service de Santé proprement dit augmenté de la visite médicale de deux hôpitaux de cholériques, la direction et la responsabilité de 15 hôpitaux à fonder d'abord, puis à gérer ensuite, la centralisation du service actif des secteurs et de tous les districts, la gestion des fonds et la comptabilité, je ne sais comment j'ai vécu pendant deux mois et demi pour faire face à tout sans que rien ne souffre. J'ai demandé la fermeture des cours de l'Ecole de Médecine, et je me suis enfermé jour et nuit dans mon bureau du Yamen, n'ayant pour m'aider dans l'exécution et la transmission des ordres qu'un Inspecteur Sanitaire, un Français dévoué au.dessus des tous les éloges, Monsieur Melggard, et un soldat prêté comme secrétaire pendant quelques heures de la journée par la compagnie de police de la Cité.

Dans cette tour de Babel qui composa le Service de Santé du Gouvernement Provisoire, le service ne fut pas toujours des plus faciles. Ma situation de médecin à deux galons me faisant l'égal de mes assistants ou l'inférieur des Officiers commandant les différents secteurs de Tientsin et environs, Capitaines ou Commandants de toutes nationalités que j'avais à diriger au point de vue sanitaire, parties techniques et administratives.

Le 10 mai 1903

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